30 juin 2006

Là-bas j'y étais

J'ai intégré France Inter le 29 juin 1987 à l'occasion d'un stage d'été, diplôme de journalisme en poche. Je me souviens très bien du premier matin. Il était 8 h 45 et Frédéric Désert préparait le flash de 9 h. A peine les présentations faites, il me dit : "Tu tombes bien, il me faut quelqu'un pour écrire un papier sur la grève d'Air Inter. Tu as un quart d'heure..." A 9 h, j'étais à l'antenne.
Je suis resté dix ans à la Maison de la radio travaillant à peu près pour toutes les stations : France Culture, France Musique, France Info, Radio Bleu et FIP. FIP est la rédaction où je suis resté le plus longtemps à cause d'un emploi du temps idéal. Les tranches 7 h / 13 h ou 13 h / 20 h me permettaient de travailler pour des radios étrangères et de former des journalistes étrangers.
En août 1997, un responsable de l'information usant de son pouvoir discrétionnaire de chef décida de m'évincer de Paris en me proposant ce choix ubuesque : ou la porte ou une mutation à la locale de Châteauroux. J'ai préféré ouvrir une fenêtre sur un nouveau monde : j'ai quitté et la radio et le journalisme.
De France Inter, je garde le souvenir heureux des premiers mois. Affecté aux flashes de nuit en remplacement du titulaire parti à la retraite, je me suis parfaitement adapté à la vie nocturne. La rédaction, il est vrai, était très vivante. Elle le devait en partie aux dactylos qui tapaient à la machine le bulletin que le journaliste leur dictait. La dactylo qui m'accompagnait chaque nuit s'appelait Martine. J'en garde un très bon souvenir. Puis l'informatique est arrivée, les dactylos ont été virées et le silence s'est fait. A la radio, la parole était devenue absente. Un comble !
Je me retrouvais seul face à l'écran de mon ordinateur pour écrire mes nouvelles. A chaque heure de la nuit, je rejoignais le studio où un animateur ou une animatrice me lançait. La première fois que j'ai été présenté par Macha Béranger, qui parfumait le studio et l'éclairait à l'aide d'une petite lampe de chevet, je me suis senti tout chose. Comme tant d'autres auditeurs, je l'avais écoutée parler aux "sans sommeil", et voilà que j'étais à ses côtés !
Il y a quelques jours, j'ai appris qu'après 29 ans de bons et loyaux services, la direction de Radio France avait décidé de se séparer de Macha Béranger. Sur le plan humain, c'est regrettable. Sur le plan professionnel, ce n'est pas un tord. Depuis plusieurs années, "Allô Macha..." avait perdu de sa superbe. Il fallait bien en finir.
En revanche, je condamne l'éviction d'Alain Rey, l'homme qui donne un sens aux mots, dont la dernière chronique s'est déroulée hier matin sur France Inter. Je regrette aussi le changement d'horaire de l'émission de Daniel Mermet "Là-bas si j'y suis", qui passerait en semaine de 17 h à 15 h. Tout le monde sait que le début d'après-midi, en radio, est une tranche de faible écoute.
A l'approche de la campagne présidentielle, n'est-il pas légitime de penser qu'une tentative d'écarter Daniel Mermet, ouvertement gauchiste, est en cours ?
Une chasse aux sorcières n'est jamais digne. Voilà pourquoi j'ai signé la pétition demandant le maintien de "Là-bas si j'y suis" à son horaire habituel. Cependant, je précise que je n'ai pas signé cette pétition pour défendre le gauchiste Daniel Mermet. Je l'ai signée parce que Mermet est l'un des derniers hommes de radio à faire du grand reportage. A mettre la vie en ondes. A faire partager des rencontres inattendues dans un lointain pays ou au coin de nos rues. Cette originalité doit rester à une heure de grande écoute. Elle doit être maintenue pour informer, éduquer, et débattre.
Hier soir, j'étais au gymnase Japy, dans le 11ème arrondissement de Paris, où se tenait une réunion publique de soutien à "Là-bas si j'y suis". Un très grand nombre d'auditeurs de l'émission étaient présents. Autour de Daniel Mermet, plusieurs intervenants se sont succédé à la tribune : Serge Halimi du Monde diplomatique, Florence Aubenas de Libération, le sociologue Patrick Champagne, ou encore Alain Rey et Louis Bozon (photo). J'ai entendu beaucoup de propos caricaturaux mais aussi beaucoup de vérité. C'est assurément pour cette raison que je me réjouis de pouvoir dire, "là-bas j'y étais" !

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