01 novembre 2006

Le vent sauvage de novembre

Lorsque j'étais à l'école primaire, nous apprenions des poèmes et des fables parmi lesquels les textes de Jean de La Fontaine prenaient une place éminente. Cependant d'autres auteurs nous étaient soumis pour susciter notre intérêt pour la poésie et essayer de développer notre mémoire. De cette époque déjà lointaine, j'ai toujours gardé le souvenir de la première strophe d'un long poème écrit par un auteur dont j'avais perdu le nom. Je ne savais même plus s'il était de France ou d'ailleurs. Puis, un jour où un malicieux désir nostalgique m'a convié à retrouver le nom de cet auteur, j'ai effectué une recherche sur Internet. Aussitôt cliqué, aussitôt trouvé ! Le nom de ce poète belge est Emile Verhaeren, et le titre du poème Le Vent. Pour célébrer la venue de novembre, un mois de l'année que j'ai toujours adoré, je vous le propose comme un court moment de bonheur littéraire.

Le Vent

Sur la bruyère longue infiniment,
Voici le vent cornant Novembre,
Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent
Qui se déchire et se démembre,
En souffles lourds, battant les bourgs,
Voici le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Aux puits des fermes,
Les seaux de fer et les poulies
Grincent ;
Aux citernes des fermes,
Les seaux et les poulies
Grincent et crient
Toute la mort, dans leurs mélancolies.

Le vent rafle, le long de l'eau,
Les feuilles mortes des bouleaux,
Le vent sauvage de Novembre ;
Le vent mord, dans les branches,
Des nids d'oiseaux ; Le vent râpe du fer
Et peigne, au loin, les avalanches,
Rageusement, du vieil hiver,
Rageusement, le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Dans les étables lamentables,
Les lucarnes rapiécées Ballottent leurs loques falotes
De vitres et de papier.
- Le vent sauvage de Novembre ! -
Sur sa butte de gazon bistre,
De bas en haut, à travers airs,
De haut en bas, à coups d'éclairs,
Le moulin noir fauche, sinistre,
Le moulin noir fauche le vent,
Le vent,
Le vent sauvage de Novembre.

Les vieux chaumes, à cropetons,
Autour de leurs clochers d'église,
Sont ébranlés sur leurs bâtons ;
Les vieux chaumes et leurs auvents
Claquent au vent,
Au vent sauvage de Novembre.
Les croix du cimetière étroit,
Les bras des morts que sont ces croix,
Tombent, comme un grand vol,
Rabattu noir, contre le sol.

Le vent sauvage de Novembre,
Le vent,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Au carrefour des trois cents routes,
Criant de froid, soufflant d'ahan,
L'avez-vous rencontré le vent,
Celui des peurs et des déroutes ;
L'avez-vous vu, cette nuit-là,
Quand il jeta la lune à bas,
Et que, n'en pouvant plus,
Tous les villages vermoulus
Criaient, comme des bêtes,
Sous la tempête ?

Sur la bruyère, infiniment,
Voici le vent hurlant,
Voici le vent cornant
Novembre.

Emile VERHAEREN, Les Villages illusoires (1894)

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